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Nuit Debout : et après ?

Jeudi, 16 Juin 2016

Nous avions publié en avril l'article  : « Nuit débout : quand la démocratie reprend vie dans la rue ». Nous concluions par cette citation de Bastamag « Comment sortir de la contestation, incarner une alternative ? » Deux mois plus tard, la démocratie a-t-elle repris vie et l’alternative s’est-elle constituée ?

Les débuts

Dans un excellent article publié sur Fakir, F. Ruffin, réalisateur du film satyrique Merci patron !, revient sur les débuts du mouvement. Il raconte sa première rencontre avec l’« intello» F. Lordon. Il retrace le fil de leurs discussions animées pour « allumer la mèche » et « [ne] pas jouer le jeu classique des institutions, convaincues qu’il nous faut une nouvelle république», jusqu’à aboutir à l’idée de se réunir, après la manifestation du 31 mars, et ne pas rentrer. « Au moins une nuit. Et le lendemain, on verra

Depuis, le mouvement Nuit Debout a créé l’élan que l’on connait. Des centaines, voire milliers, de personnes place de la République à Paris, toutes les nuits ; des médias et hommes politiques circonspects, dédeigneux ou enthousiastes ; des villes de provinces qui s’animent… Mais quel avenir pour le mouvement, se demandait-on déjà il y a deux mois.

« Ce que n'est pas, et ne doit pas être, Nuit debout »

Il nous semble important de prendre un peu de recul pour juger de la situation. Nous ne répondons pas à la question de l'avenir de Nuit Debout. L'élection de 2017 sera bien assez parlante. Mais les récents articles montrent un certain consensus sur ce que n’est pas et ne doit pas être Nuit Debout. Le qualifier ainsi en « négatif » nous donnera peut-être une idée plus claire de la nature du mouvement et ce vers quoi il peut tendre et à quoi il peut prétendre. Il nous faut donc casser certains mythes.

Le premier, c’est F. Ruffin qui le fait dans son article : « Pourquoi raconter tout ça ? Pour casser un mythe : celui de la spontanéité, événement sorti de nulle part, sans sueur et sans effort. » Ce mouvement, s'il fait certes écho à un sentiment latent de grogne et de volonté de changement, n'est pas né de nulle part. Et s'il se poursuit, ce n'est qu'au prix d'un effort constant de « centaines de bonnes volontés mises bout à bout ». 

Le deuxième est celui de l’absence de structure et l’horizontalité portée en religion au sein du mouvement. Jo Freeman, activiste du Mouvement de Libération des Femmes américaines au début des années 70, dénonçait  « la tyrannie de l’absence de structure ». Et en parlant de Nuit debout, l’intellectuel E. Todd de renchérir : « Mais c’est terrible parce que s’ils savaient, s’ils savaient à quel point les mecs en face d’eux, les patrons, l’Etat, le Parti socialiste, les banques sont organisés. » De fait, les commissions thématiques (développement durable, économie politique, éducation populaire, etc.) qui aujourd’hui constituent le corps du mouvement, s’organisent et tentent de s’inscrire dans la durée. Mais doit-il pour autant se constituer en parti ?

Le troisième mythe que l’on voudrait casser est celui du parti politique. Certains dénoncent ce qu’est devenu le parti Espagnol Podemos, fils inavoué du mouvement des Indignados, que certains rapprochent à celui de Nuit debout. Ce parti avait basé son discours sur l’horizontalité et le pluralisme de ses dirigeants. Aujourd’hui, des dirigeants, il ne semble en rester qu’un, Pablo Iglesias. Et à mesure que le parti devient puissant, il se verticalise inexorablement. À croire que cela est inévitable.

La démocratie organique

Simone Weil écrivait en 1940 son excellente Note sur la suppression générale des partis politiques. Elle concluait ainsi « Presque partout […] l'opération de prendre parti, de prendre position pour ou contre, s'est substituée à l'obligation de la pensée. » Toute la difficulté pour Nuit Debout réside justement dans le fait de ne pas prendre parti, mais de parvenir à s'organiser, dans une alliance unissant syndicats, étudiants et « bobos ». Nous pensons que l’avenir de la démocratie est organique. Plus d'espace politique dichotomique, mais des mouvements, des rapprochements, des volontés qui se trouvent sur une cause et divergent sur une autre. Mais nous cherchons encore les terreaux propices à une telle démocratie. Nuit Debout ne doit être considéré comme rien de plus, ni de moins, qu’une expérience pour trouver ce terreau. Et si Nuit Debout en était lui-même un ?

« Qui peut dire quelles graines sont plantées, et comment demain elles germeront ? » (F. Ruffin)