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Mission à la participation citoyenne et à la gestion de proximité de Bobigny

Entretien avec Monsieur Jean-Jacques Pavelek, Fonctionnaire à Bobigny. Chargé de missions à la participation citoyenne et à la gestion de proximité à Bobigny, en France, il présente la démarche démocratique et citoyenne qui s'est développée au sein de sa municipalité, en y apportant une vision professionnelle, nuancée et autocritique.

En 1998, le Maire en place, Monsieur Bernard Birsinger, annonce que des Assises vont être organisées pour donner la parole à toutes et tous à Bobigny.
Depuis, ce premier élan participatif a rencontré un succès inattendu, s'est structuré en actions multiples à la demande des habitants et est réellement aujourd'hui intégré dans les diverses facettes de la quotidienneté du Balbynien.
Monsieur Jean-Jacques Pavelek offre ici, une analyse pertinente du processus local et citoyen de 1998 à 2006 : après avoir tracé brièvement le décor de cette grande mobilisation et la mise en place d'outils participatifs, il révèle les difficultés de passer de l'expression citoyenne à la co-construction, il souligne la force de l'inertie dans ce processus populaire et enfin, il met en avant la dérive facile que pourrait prendre une démarche soutenue par les mandataires politiques.

Descriptif    

Bobigny est le chef lieu de département de la Seine Saint Denis ; elle se trouve à 10 minutes de Paris et 15 de Saint Denis.
Cette municipalité s'étend sur 677 ha et compte environ 44 000 habitants, ce qui la place en importance à (+/-) la 12ème place dans le Département de la Seine.
La ville est dirigée depuis 1920 par un maire communiste avec un intermède pendant la seconde guerre mondiale. Le maire et son équipe d'union de la gauche avec des socialistes, des écologistes, des personnalités locales, ont été réélus dès le premier tour des dernières élections municipales.
Bobigny s'est développé très rapidement dans les années 1960 et 1970.
Un urbanisme de dalles s'est constitué y accueillant des ouvriers, habitants du centre ville à côté de toutes les grandes infrastructures comme le théâtre national de la Maison de la culture, le métro, la Préfecture, le Conseil général, le cinéma, …
La ville de béton et de cour est une cité populaire dense où se côtoient et vivent ensemble des personnes aux origines diverses et variées, riches de leurs cultures.

Date

Le démarche commence en janvier 1998 : Bernard Birsinger, Maire de Bobigny présente les voux de la municipalité et annonce : " Des Assises de la ville sont prévues pour l'automne 1998. Nous avons besoin de la parole de tous et de tous les quartiers ".
Notre maire ajoute : " Il s'agit pour les élus d'organiser la démocratie de telle manière que les citoyens soient acteurs véritables de leur ville, de leur favoriser l'accès à tous les éléments leur permettant de se faire un jugement, de formuler des avis sur toutes les questions posées dans une ville, de construire ensemble l'intérêt commun ".

Lieu    

Bobigny, département de la Seine Saint Denis    
Dialogue local

Méthodes    

Voulez-bien nous donner la trajectoire qui s'est dessinée alors pour un citoyen type de Bobigny en devenir ?

Ce projet paraît légitime parce qu'il est partagé par un nombre très important de Balbyniens. Ces derniers confirment la confiance ainsi créée en donnant au Maire une majorité renforcée lors des élections municipales de mars 2001. Mais la volonté de développement de la participation s'appuie plus largement sur des préoccupations exprimées un peu à toutes les échelles de territoire et qui font l'objet de diverses initiatives tant au niveau des communes qu'au niveau de l'Etat.
Pour accompagner cette démarche, la municipalité se dote alors d'une entité administrative, la Direction vie des quartiers/ citoyenneté. Ces outils de la citoyenneté, tout comme les missions mises en ouvre par cette nouvelle direction resteront cependant assez peu intégrés dans le fonctionnement administratif.

La ligne conductrice de la participation s'est appuyée sur l'organisation des Assises, n'est-ce pas ?

Mis en place avec la participation active de l'agence Campana-Eleb, le dispositif des premières "assises " a représenté un travail de neuf mois, durant lequel il a été proposé, sous différentes formes d'accès à la population d'intervenir.
La définition d'un projet de ville à travers 136 engagements dessinait les contours d'une nouvelle ambition : décider ensemble avec les Balbyniens de l'avenir de Bobigny.
Les secondes Assises, elles, ont intégré dans leur objet le projet de requalification urbaine.
Les troisièmes Assises ont tenté de commencer la mise en place du budget participatif.
En se tenant tous les deux ans, les Assises rythment, par un large débat avec la population et la construction des outils nécessaires à la participation des Balbyniens aux décisions, les étapes d'actualisation du projet de ville et l'état d'avancement des réalisations.

Quels sont, à votre avis, les points forts qui se sont dégagés des Assises ? Voulez-vous bien les expliciter brièvement ?

Des premières et deuxièmes Assises sont nées des outils de démocratie participative qui sont mobilisés pour donner la plus large place à la parole des habitants. 
Les troisièmes Assises ont été l'occasion de les développer, de vérifier leur pertinence, leur efficacité, de tester de nouvelles formes de débat et de partage des décisions. Ce sont : 

  • L'Observatoire des Engagements (ODE).

Né des premières Assises, l'ODE permet d'amener à la démarche les notions d'expertise et de contrôle. C'est l'outil qui engage le plus la crédibilité de la Municipalité. Il confirme cette recherche de la majorité municipale, de faire de la "politique autrement ", en donnant à tous les habitants volontaires les moyens d'évaluer la mise en ouvre des engagements pris. L'Observatoire est lié aux Assises car c'est à ce moment que la municipalité explicite ses engagements.

  • Les " Parlons Franchement ".

Ces rencontres de quartier ont lieu en moyenne deux fois par an ; celles qui précèdent les Assises sont orientées par les thèmes qui y sont proposés. C'est l'aspect "information " qui est le plus important pour ces réunions. Les habitants, qui y sont tous invités, apprécient le rapport direct, le jeu des questions - réponses avec les élus.
Dans leur participation, les habitants délèguent le plus souvent la prise de décision et s'en remettent au Maire. Toutefois, ils prennent la parole. Il y a un réel échange d'informations qui prend toute sa valeur dans l'actualisation du projet de ville. Le Maire participe à l'ensemble des échanges et la municipalité s'engage à faire un lien entre les différents cycles en apportant des réponses aux sujets abordés lors des séances antérieures.

  • Les cahiers citoyens.

Ils souffrent d'un manque de réactivité de l'administration qui en a limité le rayonnement. Ils sont toujours à la disposition des habitants dans certains équipements.

  • Les Comités d'Initiatives Citoyennes (CIC)

Les CIC permettent aux habitants d'être acteurs. Ils ont droit de saisine du conseil municipal. Par leur vie, leurs initiatives, leurs revendications, leur expertise du quotidien, leurs prises de positions et leurs projets, ils participent activement à la définition des objectifs de la municipalité.

  • La Maison des Projets

Pôle de ressources sur la ville, la Maison des Projets permet à chacun de s'informer des projets et des actions de la municipalité et se veut lieu d'échanges et de rencontres. Elle a joué un rôle décisif pour la réussite de la " Consult'action ". 
Dans le cadre des Assises, elle se positionne comme une interface permanente - la seule - entre les élus et les habitants durant toute la phase préparatoire des Assises.
La Maison des projets s'est enrichie cet automne d'un nouvel espace de dialogue. Il est né à l'occasion de ces troisièmes Assises. L' " UniverCité " propose de participer à des initiatives, conférences et tables rondes.

  • Les ateliers budgétaires

Ils soutiennent la mise en place du budget participatif. Pensés comme des espaces d'échanges entre les habitants, les élus et les techniciens, ils contribuent à établir des orientations, à nous donner les moyens d'agir sur la réalisation du projet de ville, à définir les missions attendues du service public local. Ils ont existé au nombre de quatre durant les troisièmes Assises.
Enfin, tous ces espaces de consultation sont renforcés par les réunions de rues, qui ont été fortement encouragées dans le cadre de la préparation de ces troisièmes Assises.
Cet ensemble d'outils permet la plus large mobilisation et une participation à la carte en quelque sorte.

Avez-vous en mémoire une préoccupation citoyenne associée à la condition de la femme durant ces échanges ?

Je peux vous faire partager la revendication d'une habitante, qui, de façon très pointue, a mis en avant la difficulté d'être présente aux rencontres tout en assumant toutes les responsabilités classiquement associées au statut de femme.

En effet, entendre une représentante d'habitants qui souligne les caractéristiques polychrones du statut de la femme a du avoir une incidence sur les aspects organisationnels des espaces de rencontres, et cela est sans doute à considérer dans toute démarche, où qu'elle se développe….?

Précisément ! Nous l'avons d'ailleurs pris en compte pour organiser les moments de débats ; je vous livre telle quelle la prise de parole de Madame Christine CADECHE :

" Je suis la présidente des " Epaulards " sur le quartier Paul Eluard et donc tout d'abord j'aurais des questions, des remarques alors moi j'ai participé à de nombreuses réunions, je suis allée à quelques réunions du CIC mais disons ce qui m'embête un peu c'est que nous ne sommes pas dans l'action, donc c'est pourquoi j'ai choisi d'agir au sein d'une association de quartier, parce que là au moins les décisions que nous prenons, nous les mettons en action tout de suite et nous voyons les résultats. Alors la première remarque que je ferais c'est que je ne sais pas combien de mères de familles participent aux outils démocratiques, mais par exemple moi, j'ai beaucoup de problèmes parce que le majeure partie de l'année je suis seule avec mes enfants, par exemple ce soir c'était difficile d'en amener un des deux, qui commence un peu à être fatigué à venir à ce genre de réunions, et souvent je remarque qu'il n'y a rien de prévu pour favoriser la venue des mamans qui seraient seules à toutes les réunions ; c'est la première remarque que je ferais, donc sur le fait pourquoi mettre en place des animateurs qui s'occuperaient des enfants, parce que c'est vrai que pour les enfants, ce n'est pas évident, en plus quand on est maman on va à une réunion, on va à une deuxième, la troisième on culpabilise et puis après on se dit, bon dans un mois j'irai à une autre mais pour le moment…

L'animateur : On va retenir tout de suite cette proposition. Mais je voulais vous demander, vous les Assises, qu'est ce que ça a changé pour vous, est ce que ça a été vraiment utile finalement, on a compris qu'on vous sentait un petit peu…

Madame Christine CADECHE
Ca permet de se tenir au courant, de voir un peu tout le monde, les habitants de Bobigny qu'on connaît avec lesquels parfois on participe en tant qu'association, donc c'est très bien, moi je suis pour, mais la petite réserve que j'émets, c'est ça, est ce qu'on ne pourrait pas faire quelque chose pour qu'il y ait plus de femmes qui participent à ce genre de soirées. "

ASSISES DE BOBIGNY - " En toute démocratie " - Réunion du 17. 11 .2004. 

Ce nombre d'outils de consultation ne devient-il pas finalement un frein à la prise de décision et à l'opérationnalisation des projets ?

Vous pointez là effectivement la difficulté de nous extirper d'un processus participatif essentiellement basé sur l'expression, la parole de l'habitant et qui est devenu pratiquement pléthorique. Bien sur, je pense que dans ce registre, nous avons gagné une grande expertise ; nous avons déployé des moyens importants pour ce faire.
Nous pouvons nous targuer du caractère "populaire " de la participation balbynienne !
Par contre, nous avons du mal à transformer cette expression et cette liberté de parole en une force d'autonomie collective et d'intervention décisionnelle et agissante

Appréciation personnelle    

A quoi cela tient-il, selon vous ?

D'une part, les règles du jeu participatif ne sont pas, à mon sens, suffisamment définies. L'habitant mais aussi le mandataire ne connaissent pas les objectifs opérationnels donnés à la participation, qui part ainsi dans tous les sens et est démultipliée ; il suffit d'observer l'accumulation d'outils qui organisent des rencontres.
Nous pouvons, donc, perdre notre crédibilité à cause des calendriers surchargés qui convoquent parfois 3 ou 4 fois le citoyen à la semaine.
En outre, les habitants se satisfont de moins en moins de la seule expression de la parole car ils n'ont pas de prise suffisamment concrète sur de réels enjeux motivant leurs efforts de participation.
Nous avons pourtant bénéficié de plusieurs analyses extérieures, qui vont jusqu'à suggérer des recommandations. Nous sommes conscients qu'un pas en avant doit être franchi…
Cela nécessite une définition collégiale d'un plan d'actions, une programmation stratégique claire et validée par l'ensemble des intervenants !

L'évaluation    

En conclusion, quels sont les points que vous souhaitez mettre en avant pour terminer cet échange constructif et clairvoyant ?
Cette possibilité de prise de parole a provoqué un vif intérêt chez une partie de la population balbynienne et attire, de façon régulière ou irrégulière, un certain nombre d'habitants aux divers processus de participation mis en place par la municipalité.
Mais en même temps, Bobigny n'échappe pas au travers, semble-t-il français, de rester dans l'informel, de ne pas définir ce qu'on cherche à faire ensemble et selon quelles modalités on se met d'accord :
" Une autre difficulté (en France) est le manque de règles claires qui permettraient de synthétiser de façon non arbitraire les différentes demandes. En la matière, la France est un cas d'espèce !
C'est le pays de l'informalité, de l'absence de clarté, du flou sur la façon dont une synthèse doit être établie à l'issue des discussions : les hommes politiques écoutent, puis ils sélectionnent "subjectivement ".
Nos amis italiens, qui étudient la participation citoyenne, appellent cela l'écoute sélective. "
Yves Sintomer : interview à Territoires, juin 2005

Si Porto Alegre est devenu une référence pour le mouvement " altermondiste ", c'est sans doute précisément en raison de ce point particulier : 
" L'originalité conceptuelle de l'expérience de Porto Alegre est sans doute d'avoir insisté sur le fait que la participation produit des effets positifs dans la mesure où elle s'appuie sur des règles "objectives ", qui ne varient pas d'un quartier à un autre ou d'une communauté à une autre : l'arbitraire subjectif des décideurs favorisant telle ou telle clientèle est ainsi éradiqué. C'est pour la même raison que la participation doit se baser sur des critères transparents qui permettent d'organiser la discussion et de répartir les ressources au-delà des pressions arbitraires de tel ou tel individu ou de tel ou tel groupe, fut-il populaire : les plus mobilisés ne méritent pas forcément d'être privilégiés par les politiques publiques. C'est parce qu'il s'appuie sur des règles objectives et qu'il favorise la délibération plutôt que les effets de tribune que le budget participatif se distingue aussi bien du populisme (dans lequel la décision revient en fin de compte au leader) que des idéologies participatives socialistes traditionnelles, qui s'en remettaient aveuglément à la spontanéité populaire ".
Marion Gret et Yves Sintomer : " Porto Alegre :L'espoir d'une autre démocratie ", pg 25 et 26.

Le processus balbynien de démocratie participative approche de ses dix ans d'existence. Et beaucoup de participants peuvent se dire que cet accès à la parole n'est pas suffisant, que " la confusion des outils de la concertation et de ceux de la publicité contribue souvent à l'apologie du projet et de son porteur ".
Bruno Cohen-Bacrie : " Le débat public à la louche ", L'Elu d'aujourd'hui, 12/2003

Il est peut-être temps d'adopter des règles garantissant un pouvoir de décision à la base, à l'image de ce qui s'est fait à Porto Alegre : 
" Dans la capitale du Rio Grande do Sul, le risque de la "parlote " à l'infini a été évité en distinguant des moments différents, les uns permettant de larges discussions, les autres centrés autour d'un dispositif techniquement contraignant poussant à la décision. Certaines réunions ont pour ordre du jour un vote sur l'élection des délégués et conseillers ou sur la sélection des priorités, des délais doivent impérativement être respectés au niveau des secteurs comme à celui de la ville, les différents sont tranchés sur la base d'une procédure décisionnelle et de critères de répartition décidés à l'avance.
Rappelons que la discussion sur la procédure et sur les critères constitue le moment préalable du cycle participatif !
Marion Gret et Yves Sintomer : " Porto Alegre : L'espoir d'une autre démocratie ", pg 71 à 73.

Pays: 

France

Thématiques: