Troupeau de moutons

Abolir l’élevage en cage : enfin un succès pour les initiatives citoyennes européennes ?

Mardi, 15 Juin 2021

Les parlementaires européens ont adopté une résolution visant à demander à la Commission européenne de travailler sur un dispositif législatif pour abolir l’élevage en cage d’animaux de ferme à l’horizon 2027, à l’issue d’une campagne d’initiative citoyenne européenne réussie par le collectif End the Cage Age. Cependant, entre l’opposition d’associations de fermiers et l’inefficacité relative du dispositif des initiatives citoyennes européennes, nous pouvons nous interroger sur l’impact réel d’une telle victoire.

Chaque année, 300 millions d’animaux d’élevage sont entassés dans des cages. Poules, mais aussi canards, oies, truies, cailles et lapins vivent et meurent entassés dans un espace minimal et inconfortable. C’est pour arrêter ces pratiques que le mouvement End the Cage Age a lancé le 11 septembre 2018 une campagne d’initiative citoyenne européenne, qui s’est conclue de manière fructueuse un an plus tard et qui, en octobre 2020, avait réuni 1.397.111 signatures provenant de citoyens de 18 pays états-membres.

De bonnes perspectives dans le labyrinthe institutionnel européen…

Ce 15 avril 2021, la proposition a officiellement été soumise à l’examen au Parlement européen. Deux mois plus tard, ce jeudi 10 juin 2021, les parlementaires ont adopté une résolution poussant la Commission à débattre de ce sujet et à abolir cette pratique pour l’horizon 2027. La réponse de la Commission est attendue pour le 15 juillet 2021 au plus tard.

A priori, la Commission européenne paraît favorable à une telle cause. Stélla Kyriakídou, la commissaire européenne à la Santé et à la Politique des consommateurs, a exprimé son soutien, disant que l’amélioration de la condition animale était un « impératif moral, sanitaire et économique » pour la Commission. De même, Janusz Wojciechowski, commissaire à l’Agriculture et au Développement rural, qui a souvent été très vocal quant à son engagement pour la cause du bien-être animal, a laissé entendre lors d’une audience parlementaire d’avril qu’un tel projet de loi pouvait déjà être en cours de préparation.

… Mais un enthousiasme à modérer

Du côté des fermiers et des éleveurs, on se demande plutôt qui paiera la facture. Le regroupement d’associations de défense des professionnels agricoles européens, la COPA-COGECA, prévient qu’un travail d’équilibriste attend la Commission sur un tel dossier. En effet, il s’agit de faire attention aux dangers d’un double standard des normes entre celles qui sont imposées aux agriculteurs européens et celles, moins strictes, que l’on applique aux produits agricoles importés. Il faudra également veiller à ce que ce ne soient pas les « petits fermiers » qui paient le prix le plus lourd d’une telle réforme des pratiques, par exemple en les aidant financièrement à assurer cette transition. Enfin, il serait déraisonnable que cela soit in fine le consommateur qui paie les conséquences de cette action à cause d’une augmentation des prix.

Le Parlement prend en compte toutes ces inquiétudes dans la résolution mise à disposition de la Commission, précisant que l’abolition graduelle de l’utilisation des cages devrait se faire sur une période de transition suffisamment longue, avec un soutien financier pour les acteurs, une approche espèce par espèce et une attention portée au maintien d’une compétitivité internationale et intra-européenne.

Les initiatives citoyennes européennes, mirages d’une démocratie participative ?

L’initiative citoyenne européenne (ICE) est un droit d’initiation politique accordé aux citoyens européens. Si, en un an, ils parviennent à récolter plus d’un million de signatures provenant d’au moins sept pays-membres différents, la Commission s’engage à examiner la proposition et à expliquer pourquoi elle décidera de l’accepter ou de la refuser. Ce mécanisme a été mis en place en 2009, à l’issue des décisions prises dans le cadre du Traité de Lisbonne de 2007. Jusqu’à ce jour, seuls 6 projets sont parvenus à recueillir un nombre suffisant de signatures, et aucun n’a été traduit en actions législatives concrètes.

La chercheuse Marie Dufrasne explique dans un article que le dispositif des ICE agit plutôt comme une opération de communication pour les instances européennes que comme une véritable opportunité d’y implanter une forme de démocratie plus directe : « Selon la représentation permanente belge, le but de la Commission serait que les initiatives, en se communiquant au grand public, communiquent dans un même temps l’Europe et ses enjeux. La participation citoyenne n’est, selon elle, pas le but premier de l’ICE. ». Les initiatives sont souvent refusées avec peu ou pas d’explications (celle concernant le TTIP par exemple), et seule une poignée de sujets ont une chance d’aboutir (ceux visant à stopper une pratique immorale ou à garantir un droit fondamentaux aux citoyens).

En pratique, les personnes qui ont participé aux comités citoyens des ICE se plaignent souvent d’un manque de réelle volonté politique de la part de la Commission : il y a peu de feedback sur les travaux préparatoires ou d’information sur les procédures nécessaires, peu d’ouverture à des débats de fond, une simple demande de solutions concrètes et pratiques sans désir de réellement remettre en question les pratiques déjà en place, etc. Le résultat paradoxal est que les ICE, au lieu d’impliquer le citoyen et de faire connaître les actions de l’Union européenne au grand public, ont l’effet contradictoire d’augmenter le cynisme et le désabusement vis-à-vis des institutions politiques. Un constat, d’ailleurs, l’illustre parfaitement : le nombre d’ICE est en constante diminution, d’année en année, depuis le lancement de ce mécanisme en 2009.

 

Toujours est-il que, même indirectement, ces initiatives permettent de peser dans le débat politique en donnant plus de légitimité à certaines causes. Elles permettent aussi de mieux coordonner les actions des différents acteurs sociaux au niveau européen, améliorant ainsi la collaboration internationale de la société civile. Nous verrons, avec la réponse de la Commission à l’initiative End the Cage Age, si elle aura décidé de prêter l’oreille aux préoccupations de ses citoyens.