Femme russe de dos

Violences domestiques : le Kremlin condamné par la Cour européenne des Droits de l'Homme

Jeudi, 23 Décembre 2021

La Cour européenne des Droits de l'Homme a condamné la Russie à modifier sa législation sur les violences domestiques dans un arrêt donnant raison à quatre femmes victimes de la violence de leur ancien partenaire.

"Vous et lui allez faire la paix. Ce n'est pas important". Un mois après cette réponse de la police au dépot de plainte de Margarita Gracheva envers son époux pour agressions et menaces, ce dernier la traînait dans les bois pour lui trancher les deux mains à la hache. Quatre ans plus tard, le mardi 14 décembre 2021, la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH) a condamné la Russie à verser plus de 330.000 euros de dédommagement à Gracheva.

Dans son arrêt donnant raison à la suppliciée ainsi qu'à trois autres plaignantes, la CEDH dénonce les manquements législatifs russes concernant la prévention et la condamnation des violences domestiques et l'enjoint de modifier "de toute urgence" son cadre juridique qui ne contient "aucune définition" des violences conjugales. Une situation qui, malheureusement, s'inscrit dans une relation complexe entre le droit des femmes et l'ancienne république soviétique.

En 2017, la "loi des gifles" dépénalisait les violences intrafamiliales

Le 7 février 2017, le président Vladimir Poutine a promulgué une loi de la Douma dépénalisant certaines formes de violences intrafamiliales "sans séquelles graves", y compris envers les enfants. Les peines pour ces actes sont passées de deux ans de prison à de simples amendes de 30.000 roubles (470 euros), sauf en cas de violences graves ou de récidive. Pourtant, selon la députée Oksana Pushkina, qui se basait sur les chiffres d'une étude ordonnée par le parlement russe, "70% des familles souffrent de violences domestiques". "Dans 80% des cas, les victimes sont des femmes". Selon l'ONG Centre national contre la violence familiale, une femme meurt toutes les 63 minutes sous les coups d'un proche en Russie.

Alors la résistance s'organise. Face à une police russe qui "ne veut pas se mêler des affaires familiales" et des autorités qui estiment que les violences domestiques ont été moins nombreuses durant le confinement d'avril 2020 que durant le mois d'avril 2019, une pétition avait recueilli près de 650 000 signatures le lundi 29 juillet 2019 grâce à une vaste campagne choc sur les réseaux sociaux sous le slogan "Je ne voulais pas mourir".

Le vendredi 9 avril 2021, la Cour constitutionnelle russe a tranché en faveur d'un durcissement de la législation concernant les violences domestiques. Il s'agit notamment d'un durcissement des sanctions visant les récidivistes de violences domestiques. Une victoire "historique" selon les associations de défense des droits des femmes, mais encore "insuffisante" en vue de la gravité de la situation nationale.

Bras de fer entre Moscou et la Cour européenne des Droits de l'Homme

Un constat de violation de la Convention européenne des Droits de l'Homme "entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation juridique" d'adapter son droit pour "mettre fin" à cette violation sous peine de sanctions. La CEDH se base sur l'Article 46 de la Convention qui définit le caractère contraignant de ses arrêts. C'est ainsi qu'elle s'autorise d'exiger à la Russie d'intégrer "dans son droit interne une définition de la notion de violences domestiques" couvrant "divers types de violence" (physique, sexuelle, psychologique, économique) et d'ériger "les actes de violences domestiques en infractions" réprimées par des "peines appropriées".

Deux jours après l'arrêt de la CEDH, le jeudi 16 décembre 2021, Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, a exclu tout durcissement de la législation russe sur les violences domestiques. "Nous considérons que la législation en vigueur met en place tous les instruments nécessaires pour lutter contre ce mal, les forces de l'ordre font les efforts nécessaires.".

À l'inverse, le Commissaire pour les Droits de l'Homme du Ministère des Affaires étrangères russe, Grigory Lukyantsev, a déclaré à Sputnik que la loi sur les violences domestiques "pourrait changer" : "90%", "voire 95%" des décisions de la Cour européenne des Droits de l'Homme ont été prises en compte et implémentées par la Russie depuis la signature de la Convention. "C'est toujours une possibilité, car certaines lois et initiatives législatives sont encore à l'étude. Il est difficile de le prédire car il s'agit d'un sujet très sensible et complexe". Longue est encore la marche vers la sécurité des femmes en Russie.