Carte de l'Europe par Nicolas Visscher circa 1658

Sept idées pour une identité européenne

Juillet 2021

Un hymne sans paroles, des billets sans visages, une capitale sans monuments. La construction européenne s’est faite dans l’ombre et sans lyrisme. Mais à l’heure où les discours séduisants des nationaux-populistes conquièrent le cœur des foules, ne faudrait-il pas que l’Union élabore elle aussi son propre récit ? Giuliano da Empoli, essayiste et ancien conseiller politique de Matteo Renzi, formule sept propositions pour un « New Deal culturel » européen.

La « neutralité identitaire de l’Union » est le principe selon lequel les thématiques de culture et d’identité appartiennent aux nations, tandis que les institutions européennes sont le lieu de la rationalité pure, techniques et pragmatiques. Cela se chiffre : seul 0,001% du budget européen est consacré à la culture, qui reste une compétence largement étatique. De toutes les passions humaines, l’une d’elles touche particulièrement le cœur du citoyen lorsqu’on lui parle de l’Union : l’ennui. Ce qui a constitué l’une des forces de la construction européenne, qui a ainsi pu se développer durant six décennies à l’abri des regards, risque aujourd’hui de se retourner contre elle.

Dans son court essai d’une dizaine de pages, Giuliano da Empoli expose sept idées pour un « New Deal culturel » qui pousserait à la construction d’une identité européenne dans laquelle tous les peuples pourraient se retrouver. À l’heure où les États s’inspirent du New Deal de Roosevelt pour leur plan de relance post-Covid, et où la bataille fait rage pour opposer les valeurs humanistes aux discours nationaux-populistes d’un Orban, sans doute est-il temps d’enfin insuffler un peu d’âme au bleu froid de nos institutions politiques.

  1. Un autoportrait de l’Europe du 21e siècle : à l’image du Federal Writer’s Project de Roosevelt, il s’agirait de financer écrivains, artistes, réalisateurs, musiciens et videomakers pour raconter la vie européenne d’aujourd’hui, dans ses complexités et ses nuances.
  2. Une fabrique de mèmes pour l’Europe : employer les outils contemporains pour créer des contenus viraux mettant en avant les actions de l’Europe. Ou, comme le conseillait déjà Stefan Zweig en 1933 pour lutter contre les populistes de son temps, « nous devons utiliser tous les outils de la propagande contemporaine et travailler à rendre nos idées spectaculaires jusque dans les masses ».
  3. Une histoire pour l’Europe : encourager la recherche universitaire autour de l’élaboration d’une histoire commune de l’Europe. Elle prendre la forme d’un livre de synthèse accessible au grand public et traduit dans toutes les langues, qui formerait la base d’une « éducation européenne ».
  4. Après Erasmus, Odysseus : c’était le souhait d’Umberto Eco, « un Erasmus pour les chauffeurs de taxi, les plombiers, les ouvriers ». L’idée serait de proposer un Service Civil Européen baptisé Odysseus, qui permettrait à tous les jeunes citoyens de 18 à 25 ans de travailler dans le secteur environnemental, social ou culturel d’un autre pays de l’Union. Cela formerait la base d’une identité européenne basée sur les échanges et l’expérience concrète et ouvrirait le programme Erasmus à un autre public que celui des jeunes de la classe moyenne et supérieure.
  5. La Capitale : le quartier européen est quasiment invisible à Bruxelles, ce qui reflète aussi le fait que Bruxelles soit devenue « en cachette » la capitale d’une Union dont la construction s’est faite « dans la furtivité » (Régis Debray). L’UE pourrait lancer un grand concours international réunissant les meilleurs artistes et architectes européens pour aménager l’espace publique bruxellois et « donner une âme à la capitale de l’Europe ».
  6. Un réseau d’Europa-cafés : le populisme croît dans les campagnes, les zones délaissées économiquement qui à l’inverse des grandes villes ne tirent aucun profit de la mondialisation. En s’inspirant des Democracy Cafés anglais, nous pourrions ouvrir des cafés dans chaque commune européenne qui n’en possède pas déjà un, qui serviraient à la fois de lieux de débat et d’expression mais aussi de centres informatiques (pour lutter contre la fracture numérique) et de dépôt postal.
  7. Un projet Babel pour la traduction vocale : si nous sommes parvenus à réunir les scientifiques du monde entier pour décoder le génome humain ou découvrir un vaccin contre la Covid-19, pourquoi ne pas lancer une initiative d’une telle envergure pour la création d’un outil de traduction vocale automatique en cinq ans ? L’objectif serait de créer une oreillette qui traduirait en direct le langage d’un locuteur de l’Union. La base de données linguistique du Parlement européen est déjà la plus riche et la plus utilisée par les chercheurs spécialisés en intelligence artificielle pour la traduction automatique. Déjà, nous ne sommes qu’à un pas d’un projet pratique et révolutionnaire qui permettrait à chaque citoyen de se parler dans sa langue natale.

Passer d’une « idée de l’Europe » à un « sentiment européen » pour lutter contre les nationalistes et les populistes, tel est le souhait de Giuliano da Empoli. Si l’Union veut survivre au 21e siècle et répondre aux mouvements de fond culturels de son temps, elle doit apprendre à éveiller les passions et battre les sophistes à leur propre jeu.